On croyait tout avoir vu. Le FPS narratif expérimental, le simulateur de gestion de poulailler stalinien, le roguelite rétro en 3D iso… mais non. Le chaos a encore des recoins inexplorés. BRAZILIAN DRUG DEALER 3: I OPENED A PORTAL TO HELL IN THE FAVELA TRYING TO REVIVE MIT AIA I NEED TO CLOSE IT, développé par Joeveno et disponible depuis le 21 Septembre 2024 sur PC, s’impose d’entrée comme une anomalie absolue : une expérience bricolée dans un coin de code source oublié, un cri de détresse criard émis entre deux caisses de son possédées, un hommage déglingué à l’âge d’or des FPS mal rasés et des mods brésiliens de l’enfer.
Tout commence dans une favela, un pentagramme au sol, une idole funéraire du funk local à ressusciter — et bien sûr, un portail démoniaque qui s’ouvre par erreur au milieu du bidonville. Dès les premières secondes, le jeu vous largue sans notice dans une architecture décrépite, une ambiance sonore saturée et une boucle de gameplay sans frein à main. C’est laid, c’est rugueux, c’est bancal — mais c’est aussi farouchement cohérent. Le kitsch devient geste, le grotesque devient signature. Et pendant que vous videz des chargeurs dorés sur des entités de l’au-delà au son de beats flingués, une seule question vous hante : cette chose est-elle un troll, un manifeste, ou le témoin involontaire d’un monde vidéoludique qui s’effondre sur lui-même ?
Le démon, le dealer et le fantôme du funk
Le récit de Brazilian Drug Dealer 3 tient en une poignée de cendres jetées dans un ventilateur. Vous incarnez un trafiquant brésilien, passionné par l’œuvre d’un certain Mit Aia, icône locale du funk, que vous tentez de ramener d’entre les morts en réalisant un rituel occulte sur une colline de favela. À peine le pentagramme gravé dans le sol, l’univers bascule : les maisons s’ouvrent sur l’enfer, les passants deviennent des possédés, et le ciel se teinte de rouge. Un portail est ouvert. Le Brésil doit être sauvé. Par vous.
L’histoire est délirante, certes, mais sa folie n’est jamais gratuite. Elle n’est ni mise en scène, ni véritablement racontée : elle est balancée, scandée, scandalisée. L’univers est un collage de visions sous acide, d’hallucinations humoristiques, de cauchemars tropicalisés, où chaque élément semble avoir été recopié à la main depuis une VHS en feu. Il n’y a pas de progression scénaristique au sens classique : seulement une fuite en avant rythmée par les armes, le funk et les hurlements d’entités qui n’avaient rien demandé.
Les personnages, eux, sont des archétypes déglingués. Le dealer est un surhomme flegmatique, bardé d’or et armé jusqu’aux dents, indifférent à la panique qu’il provoque. Les ennemis prennent la forme de policiers zombies, de chanteurs possédés, d’avatars grotesques de la pop-culture brésilienne remixés dans un bain de feu et de MP3 corrompus. Mit Aia lui-même — jamais incarné, toujours invoqué — plane sur tout cela comme une divinité absente dont le retour n’a fait qu’empirer les choses.
Il serait absurde de chercher ici une narration linéaire ou une caractérisation classique. Brazilian Drug Dealer 3 fonctionne par soubresauts, par icônes, par effets de choc. Il propose une mythologie improvisée au cœur du chaos, un folklore maudit détourné avec rage, humour et saturation permanente. Chaque phrase hurlée, chaque skin d’arme clinquant, chaque apparition démoniaque n’est pas là pour structurer un récit : elle est là pour le pulvériser dans un feu d’artifice grotesque.
Coups de feu, lignes de coke et architecture démoniaque
Brazilian Drug Dealer 3 fonctionne comme un shooter possédé, bricolé dans les entrailles d’un moteur trop ancien pour contenir l’absurde qu’on lui injecte. Tout repose sur le ID Tech 2, vestige rugueux de l’ère Quake, mais dopé au funk carioca, au glitch visuel et au n’importe quoi bien pensé. Vous avancez dans un flot de tirs, de hurlements et de beat saturé, avec pour seules boussoles : l’intensité et l’irrespect total des conventions modernes.
La structure est celle d’un FPS rétro à l’ancienne : niveaux fermés, ennemis en masse, objectifs flous, secrets cachés derrière des murs qui ne préviennent pas. Mais derrière cette apparente désuétude se cache un véritable travail d’équilibriste. Le level design, volontairement chaotique, fonctionne sur une logique de parcours punitif, où chaque porte peut contenir des munitions, un boss ou une mort immédiate. La favela devient un labyrinthe infernal où les cours intérieures s’ouvrent sur l’abîme, les ruelles débouchent sur des temples corrompus, et les bâtiments s’effondrent sur vous sans prévenir.
Le cœur du jeu reste le tir à la première personne, nerveux, sans inertie moderne, avec des hitboxes incertaines et une violence immédiate. On y manie des pistolets dorés, des fusils à pompe sculptés comme des reliques, des armes d’outre-tombe surgies d’un clip de Baile Funk hanté. Le son claque comme un micro de karaoké possédé. Les ennemis arrivent par vagues, se déplacent sans logique, frappent fort, et meurent bruyamment. C’est un ballet désarticulé, mais jamais gratuit : chaque combat vous oblige à bouger, à improviser, à tirer avant de comprendre.
Les mécaniques secondaires sont tout aussi délirantes. On y sniffe des lignes d’énergie pour se soigner. On recharge à la volée dans des animations saccadées. On récupère de l’argent pour acheter des armes plus brillantes, plus grotesques, plus absurdes. Chaque action du joueur est une provocation. Chaque salle traversée est une nouvelle insulte au bon goût vidéoludique. Et pourtant, tout fonctionne.
Le jeu ne fait aucun effort pour s’expliquer. Il suppose que vous savez ce que vous faites, même si vous ne comprenez rien. Les checkpoints sont rares. La difficulté est féroce. La lisibilité est parfois absente. Mais c’est dans cette anarchie assumée que réside son charme toxique. Vous avancez non pas parce que vous progressez, mais parce que reculer n’est plus une option.
Sprites hurlants, textures crasseuses et funk des abysses
Visuellement, Brazilian Drug Dealer 3 est une anomalie qui s’assume. Il ne cherche jamais à séduire. Il provoque, il choque, il racle la rétine avec une jouissance de développeur possédé. Tout, dans son esthétique, crie la volonté de trahir les codes, de briser les conventions, de saturer l’espace. Les textures baveuses, les sprites déformés, les animations tremblantes : rien n’a été lissé, rien n’a été adouci. Le jeu hurle sa crasse comme un manifeste.
La favela, premier théâtre du chaos, est un patchwork de bâtiments instables, de couleurs sales et de ruelles labyrinthiques. Puis viennent les zones infernales, plus surréalistes encore : temples démoniaques en béton brut, colonnes de chair palpitante, murs couverts de symboles rituels en surimpression. Tout semble construit par couches de jeux volés, modifiés, recollés. L’ensemble évoque un cauchemar rétro-techno, où le Brésil se serait transformé en port USB hanté.
La lisibilité n’est jamais garantie. Certains décors se superposent, les effets explosent sans préavis, et les projectiles vous traversent parfois avant que vous ne compreniez ce qu’ils étaient. Mais cette confusion fait partie intégrante de l’expérience : le jeu ne cherche pas à être clair, il cherche à être total. Chaque pixel mal aligné devient signature, chaque bug visuel devient texture.
La bande-son est une autre bête indomptable. On y trouve du funk carioca possédé, des beats brésiliens distordus, des boucles musicales rythmées comme des incantations, des cris démoniaques hachés dans des samples lo-fi. Le tout est mixé à la truelle, avec des montées sonores impromptues et des fondus inexistants. Et pourtant, cela fonctionne. L’oreille est agressée, mais jamais trahie. Chaque morceau semble surgir d’une radio en feu, dans une cuisine abandonnée par le Diable lui-même.
Les bruitages, eux, n’ont aucun filtre. Les cris des ennemis sont amplifiés à l’excès, les armes résonnent comme des pétards artisanaux, les répliques en portugais saturent les haut-parleurs comme des sorts improvisés. Il n’y a aucun souci de mesure. Le jeu se vit à plein volume ou pas du tout.
Ce n’est pas beau. Ce n’est pas élégant. Ce n’est même pas stable. Mais c’est une identité. Et elle est furieuse.
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